Symon Welfringer, grimpeur, alpiniste et passionné de sport et de montagne, est parti cet été avec trois autres explorateurs au Groenland. Leur objectif : escalader un big wall de 1200 mètres avec une cotation atteignant le 7b. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont réalisé l’approche en kayak de mer, en autonomie complète, au milieu des icebergs et des baleines.
Symon partage avec nous son carnet de bord de ce périple de 35 jours.
« Avec mes amis Matteo della Bordella, Silvan Schupbach et Alex Gammeter, nous avons 35 journées en autonomie totale pour parcourir plus de 450km en Kayak le long de la côte Est du Groenland.
Arrivé dans le Fjord espéré, nous avons après plusieurs tentatives réussi à ouvrir un Big wall de très grande ampleur sur un sommet encore vierge. La paroi de 1200m en tout nous a amené à grimper des longueurs très techniques (35) jusqu’à 7b.
Ce qui a rendu ce voyage particulièrement intense, c’est les conditions météo , d’abord la glace qui nous a empêché de traverser plusieurs zones puis les tempêtes que nous avons subis et enfin la neige, normalement rare à cette période de l’année, elle nous a surpris à plusieurs reprises …
450km à pagayer, ouvrir d’un big wall vierge de 1200m. Ces chiffres ne résument pas vraiment les émotions que nous avons rencontrées là-bas. Toutefois, rien n’a été facile entre les conditions en mer et la météo changeante que nous avons affrontées. Tempêtes, ours polaire, banquise, neige, moustiques. Chaque jour nous a réservé une surprise, des bonnes et des mauvaises. Une véritable odyssée qui nous a fait penser à celle d’Ulysse dans le passé. Nous y avons vécu tous les 4 une des plus grandes expériences de notre vie : engagée, physique, technique et réussie.
Avec Silvan, Matteo et Alex notre objectif était simple. Essayer d’atteindre « by fair means » le fjord de Skjoldugen où nous avons visé un mur vierge sur la montagne méconnue de Drøneren. Ce voyage arrive juste après mon expédition au printemps, où j’ai réussi au Népal l’une des plus belles ouvertures de ma vie sur sur les pentes de l’Hungchi à 7029m.
Du 17 au 19 mai 2024 – « Le cavalier sans tête »
Face ouest 1700m
Rêveurs, aventuriers, conquérants…
Notre regard s’est naturellement tourné vers cette face raide et esthétique. Nous retrouvons alors la fougue des rêveurs, aventuriers, conquérants et notre soif de sommet. Une escalade complexe et intense nous mène au point culminant de L’Hungchi le 18 mai 2024. Ces 3 journées ont mis à rude épreuve nos compétences et motivations d’alpiniste. Une adversité telle que le souvenir restera ancré irrémédiablement dans notre mémoire.
Un mois après mon retour, je préparais déjà un nouveau projet d’ampleur, cette fois plus concentré sur l’aventure que la performance. C’est un rêve pour moi que de réussir à combiner ces deux types d’expédition et réussir à mettre en place l’entraînement physique et mental adéquat pour mener à bien ces projets : l’Aventure à l’état sauvage et la Performance en altitude.
Mardi 31 juillet, côte Est du Groenland vers le Cap Moesting
Voilà maintenant une semaine que nous avons commencé notre périple en Kayak pour essayer de rejoindre un Big Wall plus au Sud sur la côte. La météo et les conditions de mer ne nous auront pas fait de cadeau.
Cette année, la quantité de glace en mer est la plus élevée depuis 20ans, de nombreux passages sont encore bloqués par les icebergs même à cette période de l’année alors pour se faufiler avec nos kayaks, l’itinéraire nous aura donné du fil à retordre. Malgré tout, nous réussissons à faire de belles journées de navigation et nous rapprochons petit à petit du Fjord où se trouve le mur que nous voulons grimper.
Arrivés avant-hier sur une petite île, nous y attendons abrités aux abords d’une grotte le passage d’une tempête. Même si elle était bien prévue par la météo, nous ne nous attendions pas à une telle intensité et nos tentes peinent à tenir en place, plus de 100km/h de vent et une pluie continue, nous trouvons des emplacements de plus en plus abrités et espérons surtout que d’ici un jour ou deux nous pourrons songer à faire sécher nos affaires et reprendre nos Kayaks si Eole le veut bien.
Vendredi 2 août
Quel bonheur d’être sur l’eau aujourd’hui. On se rapproche du Fjord de destination, ça fait du bien. Les affaires sèchent au soleil, quelques habits sont encore mouillés de la tempête.
Samedi 3 août, ça y est !
Après 10 journées bien intenses, nous voilà arrivés à destination. Ces journées de kayak sont déjà un réel accomplissement en soi, surtout compte tenu des conditions que nous avons rencontrées. De plus, avoir réussi à parcourir une telle distance avec nos bateaux chargés est encore plus impressionnant. Maintenant place au repérage des lieux et au choix de la ligne que nous aimerions grimper. Le mur que nous visons semble vraiment long, peut-être entre 1200 et 1400 mètres. Cependant, quelques vires se dessinent, ce qui est plutôt rassurant au vu du matériel que nous avons. Nous prévoyons environ 6/7 jours de grimpe si la météo tient bon.
Jeudi 8 août
Le temps est très humide et cette vilaine petite pluie reste bien installée sur notre camp.
Lundi 12 août, les cm2 de tissus secs commencent à se faire rare :
Une semaine bien humide sur Skjoldungen. Déjà 7 jours installés dans ce magnifique fjord mais peu d’avancements en termes de grimpe. La météo a été bien capricieuse et nous avons seulement pu profiter de deux belles journées pour grimper, nous avons parcouru environ 500m sur notre mur où nous avons fixé une partie des longueurs pour être le plus efficace possible à la prochaine montée. La face est immense avec sûrement plus de 1400m d’escalade mais les longueurs n’ont pas l’air extrêmes, cela ne devrait pas dépasser le 7, du moins on l’espère. Déjà de superbes passages alternant fissures rectilignes et dalles techniques.
Ces deux derniers jours, c’est la neige qui s’est invitée aux alentours de 800/1000m, mettant notre patience à rude épreuve. Ayant emmené le stricte minimum dans nos kayaks pour notre campement, nos idées de confort s’éloignent de jours en jours : duvets et vêtements mouillés, moustiques à volonté, panneaux solaires à l’arrêt. La semaine qui arrive devrait nous libérer le créneau de 3/4 journées nécessaires à gravir ce mur vierge, cette idée nous tient en haleine et réchauffe nos corps à elle seule.
Mercredi 14 août , 19h20.
Je peine à trouver le sommeil, le réveil est prévu pour 1h. Demain on part vers le mur. Ça va être quelque chose.
Lundi 19 août, jour 26 de l’expé, enfin de la réussite
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Silvan et nous rentrons au camp avec un beau cadeau, notre objectif atteint. Après trois tentatives stoppées par la météo cette semaine, nous avions perdu espoir mais la joie de la réussite n’en est alors que plus grande.
D’abord c’est la neige qui a recouvert notre mur et rempli les fissures de glace, puis le vent nous aura fait faire demi tour et aura coûté la vie à quelques-unes de nos cordes fixées sur le mur.
Finalement, à raison de patience nous tentons un dernier essai avant la date imposée du retour et c’est la délivrance. Hormis le froid qui reste bien présent et aura rendu les bivouacs peu reposants, les conditions sont idéales. Nous progressons efficacement. Hier nous arrivons au sommet de cette face de 1200m vierge après 35 longueurs, sûrement la plus belle vue qu’on ai eu l’occasion d’observer entre Océan et Banquise qui s’étendent vers l’infini. Nous finissons les rappels cette après-midi et nous voilà déjà à la tâche pour remplir à nouveau nos Kayaks et entamer le chemin du retour. Nous allons maintenant essayer de rattraper au mieux notre retard sur le planning de retour initial, la météo a l’air d’être à nouveau à nos côtés.
Samedi 24 août, jour 31 de l’expé, vers Otte Krumpens Fjord
Nanuk !!!
Il y a deux semaines nous avons vu une première fois un ours polaire autour du camp, il avait gardé ses distances et paraissait très calme.
4 jours au, lorsque nous préparions nos kayaks au retour. Il est réapparu. Cette fois beaucoup plus proche et plus agressif. Quelques coups de fusil dans les aires et nos cris ont suffit à l’éloigner mais depuis, nous restons sur nos gardes. La région est connue pour ça et ils peuvent parcourir plus de 50km par jours. Depuis, toutes les nuits, à tour de rôle nous tenons la garde, 3h chacun. La fatigue s’intensifie mais les conditions pour le Kayak sont clémentes, les journées sont longues mais les paysages d’autant plus beaux. La fin de notre périple approche !!!
Lundi 26, la quintessence
J’aime cet état. Usé, fatigué,
Aux abords du Arbor de Tasilaaq,
33 jours seuls face aux éléments, dans l’immensité et la beauté des paysages Groenlandais.
Seule une petite brise nous sort de nos pensées.
Déjà mélancolique d’une liberté éphémère.
Le retour à la norme est comme un choc, mettre des mots sur les images, s’efforcer de raconter.
Laisser les aurores boréales nous bercer.
Une dernière fois.
Reconnaître que le passé
Est bien envié
Dans un futur plus troublé.
Tempêtes, ours, multiples péripéties composant notre odyssée.
Pour une dernière nuit sous ce ciel étoilé.
Mercredi 28, jour 35.
Je me suis payé un pack de bières au Duty free de Reykjavik. Je le sirote tranquillou dans l’avion qui m’emmène à Lyon via Vienne.
Relâché.
Mes pensées s’émoustillent à mesure que les canettes disparaissent.
La mélancolie m’envahit.
Souvenir d’une beauté passée, quête de liberté.
Je trie les images de notre voyage, chacune ramène à une sensation plus qu’à un souvenir.
Un inconfort qui paraissait désagréable devient aujourd’hui un manque.
Donner un sens.
Grimper , pagayer, certes. Mais que cherche t’on par là-bas ?
Pourquoi se différencier, chercher l’inconnu, le danger, la peur.
Se sentir vivre.
J’en prends une dernière et j’arrête. Promis. »